Francophones en Louisiane: depuis quand? (1682 à 1900)
par Piccinin, Helgi
Terre
de brassages culturels, la Louisiane a été officiellement proclamée territoire
français par l’explorateur Cavelier de Lasalle en 1682, en l’honneur de son roi
Louis XIV. Ce territoire connaît ensuite une histoire mouvementée. Cédé à
l’Espagne par le Traité de Paris en 1763, récupéré par la France en 1800, puis
revendu trois ans plus tard aux États-Unis par Napoléon, ces changements d’allégeance
ne font pas disparaître le fait français. Ils y produisent cependant un mélange
culturel spécifique dû aux migrations successives d’Acadiens, de Créoles,
d’Amérindiens, d’Espagnols et d’Européens d’origines diverses. Jusqu’au début
du XXe siècle, la langue et la culture francophone y demeurent
prédominantes. Dans cet article, le vidéaste Helgi Piccinin explore le mélange
caractéristique de couleurs et d’influences culturelles qui subsiste
aujourd’hui en Louisiane francophone.
Article available in English : A Quick History of French-Speakers in Louisiana (1682–1900)
Fini la musique, début d'une réflexion plus historique
Fin avril 2009. Deuxième semaine en Acadiana, plus précisément à Lafayette. Le Festival International de Louisiane vient de se terminer. Notre troupe de documentaristes nomades, qui s'était si bien fondue dans cette festive mosaïque interculturelle, se retrouve soudainement au milieu d'un centre-ville désert, avec comme seule animation le démontage des scènes de spectacle. Après la tempête musicale, le calme laisse place à la réflexion. Ces rencontres et discussions privilégiées avec les artistes louisianais ont bien semé leurs graines dans mon esprit. Introduit à l'identité louisianaise par sa musique, je ne désire désormais qu'une chose, en connaitre plus. La question du français me semble soudainement beaucoup plus complexe qu'à mon arrivée. Plutôt que de quitter Lafayette alors qu'elle s'apprête à reprendre sa routine, nous décidons de rester sur place, de nous intégrer un peu plus et d'approfondir notre connaissance de la Louisiane francophone. Par où commencer? Il m'apparait important de revenir en arrière, c'est-à-dire de démêler les grandes lignes de l'histoire de la Louisiane. L'énigme que j'essaie de résoudre s'articule très naïvement : pourquoi existe-t-il en 2009 une si large communauté francophone au sud des États-Unis? Comme toujours, la réponse n'est pas aussi simple et concise que la question.
Un peu d'histoire
Aucun d'entre nous n'est historien. Pour les Québécois et Français de notre petit groupe de voyageurs, ce chapitre de la découverte de l'Amérique semble bien loin dans notre mémoire, voire partiellement inconnu. Comment comprendre le présent sans connaitre le passé? Nous entamons cette enquête identitaire par les bureaux du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) qui, comme son nom l'indique, développe et préserve le français en Louisiane (voir article 3). Un beau défi dans le contexte majoritairement anglophone des États-Unis. Pour bien me faire comprendre la particularité de l'histoire louisianaise, le directeur du CODOFIL David Chéramie clarifie dès notre premier échange : « Nous étions ici même avant la fondation des États-Unis. Ce n'est pas nous qui avons immigré chez eux, mais eux qui ont immigré chez nous. »
Louisiane, « la fin du chemin »
Au cours de notre conversation, David Chéramie me révèle un autre élément intéressant, spécifique à cette région : « La Louisiane a toujours été une terre d'exil, une terre de refuge aussi (...). Il y a des études parmi les Amérindiennes avant l'arrivée des Européens qui montrent en quelque sorte qu'il y a même des tribus indiennes qui envoyaient les gens qu'ils ne voulaient plus dans leurs tribus s'exiler en Louisiane. » Ce n'est pas un premier choix de destination pour les colons français qui préfèrent encore les îles des Antilles ou le Canada. Pour les esclaves noirs, que dire quant à leur libre choix? Même fatalité pour les Acadiens, dont l'arrivée massive est le résultat d'une déportation forcée par les Anglais au Canada.
Cette vocation d'incarner une terre d'accueil, voire même « la fin du chemin » pour ces exilés, a sans aucun doute forgé certains traits de caractère de l'identité louisianaise. Cette expression devenue cliché « Laisse le bon temps rouler! » exprime une joie de vivre que j'ai senti tout au cours de mon voyage. Pourtant, pensant à ce « bon temps », je ne peux m'empêcher de rajouter à la liste des difficultés un climat plutôt difficile à apprivoiser. Température humide et torride, terres marécageuses entrelacées de bayous et localisation propice aux cyclones ne sont pas des éléments toujours invitants! Heureusement, la bordure d'un des plus importants fleuves d'Amérique, le Mississippi, et l'accès à l'océan par le golfe du Mexique en font un endroit stratégique pour l'exploration et le commerce.
Les drapeaux défilent, mais la Louisiane demeure francophone
Avec le recul, la deuxième moitié du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle pourraient sembler n'être qu'une série de hauts et de bas politiques. Après la défaite de la France lors de la Guerre de Sept Ans, le Traité de Paris en 1763 stipule que la Louisiane passe aux Espagnols et le Canada aux Anglais. C'est la fin de la conquête française en Amérique. Si Napoléon récupère momentanément la Louisiane en 1800, il la vend trois ans plus tard aux jeunes États-Unis d'Amérique. Mais bien qu'elle passe ainsi de mains en mains, la Louisiane demeurera toujours majoritairement francophone en raison d'une forte immigration venant de France, d'Acadie et des Antilles alors françaises. D'ailleurs, lorsque la Louisiane devient officiellement le 18e état des États-Unis d'Amérique en 1812, elle est le seul état au sein duquel la majorité des habitants, composée de Créoles et de Cadiens, est non-anglophone.
Qui sont les Cadiens, les Créoles blancs et les Créoles de couleurs?
En me présentant la Louisiane par les différents français qu'on y parle, Élaine Clément, directrice des relations communautaires au CODOFIL, réussit à me faire comprendre qu'il n'y a pas qu'une langue française, mais bien plusieurs. Cette richesse linguistique s'explique par les différentes origines de la population louisianaise. Selon le recensement de 2000 en Louisiane, 198 784 francophones louisianais de plus de 5 ans ont répondu parler français, incluant 4 470 personnes qui parlent le français créole.
Les Cadiens
Les Cadiens (cajuns) sont des descendants des habitants de l'Acadie, cette région de la Nouvelle-France qui se situerait aujourd'hui dans les provinces canadiennes de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l'île du Prince-Édouard. L'importante présence acadienne en Louisiane s'explique par un chapitre sombre de l'histoire du Canada : le grand dérangement.
En 1755, les troupes britanniques déportent entre 8000 et 10000 Acadiens. Hommes, femmes et enfants sont envoyés par bateau vers le sud des États-Unis, la France ou l'Angleterre. Des milliers rejoignent alors la Louisiane, dont une importante portion en 1785 (on parle de 1600 réfugiés Acadiens cette année-là). Les Cadiens représentent aujourd'hui la plus grande population francophone de Louisiane. Rencontré un de ces fameux samedis dansants au Café des Amis à PontBreaux, Floyd Leblanc, un vieux Cadien dont les ancêtres viennent de la Nouvelle-Écosse, m'explique avec un mélange de fierté et de tristesse dans la voix, ce qu'est un Cadien : un français catholique qui aime manger, danser et jouer aux cartes. Au-delà des origines, ce qu'exprime M. Leblanc, c'est qu'être Cadien « cajun », c'est aussi un art de vivre.
Les Créoles blancs
Le terme créole porte à confusion. En arrivant en Louisiane, j'ai de suite tendance à l'associer à une personne de couleur noire. Pourtant, lorsque nous demandons à l'artiste Rocky McKeon de nous expliquer ses origines cadiennes, il rectifie à notre grand étonnement: « Vraiment je suis Créole! (...) Mes ancêtres sont venus de la France directement ». Effectivement, ces colons Français qui s'établissent en Louisiane sont appelés des Créoles francophones.
Au fil des ans, viennent aussi s'ajouter des Créoles français venant des Antilles françaises. En 1791, une révolte des esclaves éclate à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti) puis, dans la foulée de la Révolution française, s'ensuit deux ans plus tard l'abolition de l'esclavage. Entre 1789 et 1806, on estime que près de 20 000 Français quittent Saint-Domingue pour rejoindre la Louisiane. Ces nouveaux arrivants à l'esprit entrepreneur feront passer la culture du coton aux États-Unis de 9% à 70% entre 1791 et 1805.
Les Créoles « de couleur »
Tout comme une bonne partie des États-Unis basée sur l'économie des plantations, la Louisiane s'est aussi développée grâce à d'importantes arrivées d'esclaves noirs. Sous l'impulsion de la Compagnie des Indes, on fait venir environ 6 000 esclaves africains entre 1719 et 1743. Plus tard, qu'ils arrivent de Saint-Domingue en suivant leurs maitres français ou directement d'Afrique, une importante population dite « de couleur » vient se joindre à la Louisiane. Bien que le français ne soit pas leur langue première, ils adoptent rapidement cette langue alors dominante. La Louisiane est aujourd'hui un des états à la plus large proportion de Noirs aux États-Unis (32% selon le recensement 2006-2008). Leur influence sur la langue française, la musique et la culture louisianaise en général est marquante.
Et les autres...
Ce qui me fascine avec la Louisiane, c'est qu'il s'agit d'un véritable « melting pot » américain, mais avec un héritage francophone. Loin de moi l'idée de réécrire l'histoire, mais je ne peux m'empêcher d'y entrevoir un aperçu de ce qu'aurait pu devenir l'Amérique du Nord si elle était demeurée française. Francophone plutôt que française, devrais-je dire, puisque d'autres Européens y viennent et se fondent aux francophones majoritaires. Les autochtones aussi. Le peuple des Houmas en est exemple assez éloquent, qui aujourd'hui revendique une tradition à la fois autochtone et francophone. La vérité, c'est que la Louisiane est le résultat d'un véritable métissage. Cadiens, Créoles francophones, Créoles de couleurs, Autochtones, Espagnols et autres Européens, sont les ingrédients d'un « brassage », comme le dit si bien David Chéramie, qui a su colorer la « grande tapisserie américaine ».
Un drapeau, une nation, une langue » Le XXe siècle est une longue bataille pour la survie et la préservation de la francophonie louisianaise. Entre interdictions de parler le français à l'école et sa réintégration par le biais de programmes de langues secondes et d'immersion, l'héritage linguistique passe près de disparaître. Voyez comment s'organise la lutte (LIRE L'ARTICLE 3).
Helgi Piccinin
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